Protéger la finance avec nos impôts

(Mise à jour le 21 août 2024 à 11:07)

Source : L’Humanité

Le coût de la dette publique française explose. Il deviendrait insoutenable et pourrait bien entendu justifier toutes les velléités d’austérité du gouvernement.

Sauf que quand on y regarde de plus près, la quasi intégralité de l’explosion actuelle de la charge de la dette (c’est-à-dire les intérêts que la France verse chaque année à ses créanciers) vient d’une toute petite partie de cette dette.

Vous l’avez peut-être entendu : le coût de la dette publique explose en ce moment. Les charges d’intérêt que l’État paye sur sa dette sont passées de 24 milliards d’euros en 2020 à 46 milliards en 2022. En seulement 2 ans, le coût de la dette a quasiment été multiplié par 2. Ce qui représente donc 22 milliards d’euros supplémentaires à payer chaque année avec nos impôts.

Comme dans le même temps, le montant de la dette d’État s’est accru de 300 milliards d’euros, on pourrait croire que le coût de la dette a été entraîné par la dette Covid. Idem, avec l’épisode d’inflation que connaît le pays depuis la fin 2021, on pourrait penser que cette hausse du coût de la dette est due à une remontée des taux d’intérêts.

Mais non, d’après un rapport très récent de la Cour des Comptes, la quasi intégralité de l’explosion actuelle du coût de la dette (90 %) vient d’une toute petite partie de notre dette, la dette indexée à l’inflation.

La dette indexée sur l’inflation, c’est quoi ?

Pour le comprendre, il faut commencer par voir comment fonctionne une dette publique classique.

La dette publique n’a rien à voir avec un crédit classique, qu’un particulier ou une entreprise contracterait. Quand un individu fait un crédit, il rembourse chaque mois une partie de la somme empruntée, ainsi que les intérêts. A la fin du crédit, il a remboursé le tout (somme empruntée plus intérêts) petit à petit.

L’État, c’est différent. Avec une dette classique, quand l’État emprunte 100 € pour 10 ans à 2 % de taux d’intérêts, il paye 2 € d’intérêt chaque année et à la fin de l’emprunt, au bout de 10 ans, il rembourse d’un coup le “principal” les 100 € qu’il devait.

Une dette indexée sur l’inflation c’est différent : quand l’État emprunte 100 €, il paye aussi des intérêts fixes chaque année, mettons 0,6 %, mais à la fin, au bout de 10 ans, au lieu de rembourser 100 € il rembourse « 100 € + toute l’inflation qu’il y a eu pendant 10 ans ».

Quasiment la moitié de toutes nos dettes indexées – 46 % pour être exact – a été émise depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Aujourd’hui, la dette indexée à l’inflation, c’est 11,5 % de la dette de l’État.

Pourquoi l’État accepte d’avoir une dette indexée sur l’inflation ?

Comme l’État accepte de rembourser toute l’inflation à son prêteur, le prêteur accepte un taux d’intérêt plus faible. Ces dernières années, le taux d’intérêt est en moyenne 1,4 point inférieur dans une dette indexée que sur une dette « classique ».

Concrètement, si le taux d’intérêt sur la dette d’État à 10 ans est de 2 %, une dette à 10 ans indexée sur l’inflation souscrite le même jour n’aurait que 0,6 % de taux d’intérêt. 

La dette indexée est-elle un bon pari pour les finances publiques ?

Tant que l’inflation sur 10 ans est en dessous de 1,4 % par an, l’État est gagnant. Il paye moins cher sa dette indexée sur l’inflation que s’il avait pris une dette classique. A l’inverse, si l’inflation est supérieure à 1,4%, le coût de la dette explose. 

Malheureusement, depuis 2 ans, l’inflation a explosé en France et en Europe. Et à cause de ça, nos 11,5 % de dettes indexées ont vu leur coût exploser aussi. En 2022, ces dettes indexées nous ont coûté 15,5 milliards d’euros et en 2023, elles devraient nous en coûter 13,5 milliards supplémentaires, le tout payé avec nos impôts.

Si aujourd’hui, il est clair que ces dettes indexées saignent nos finances publiques, il se pourrait que par le passé, quand l’inflation était basse, cette dette indexée nous ait fait économiser plein de milliards. 

Grâce à un document transmis au Sénat fin 2022 par l’Agence France Trésor – l’agence gouvernementale qui s’occupe de gérer la dette de l’État - on peut en avoir le cœur net. On peut savoir si au total – depuis la première dette indexée émise en 1998 jusqu’à la fin 2022 – le pari des dettes indexées a rapporté ou coûté de l’argent à l’Etat.

Ce document nous enseigne que le bilan annuel des dettes indexées était neutre jusqu’à 2012. Entre 2012 et 2020, ces dettes nous ont rapporté de l’argent – entre 1 et 3 milliards d’euros par an. En 2022 patatras : elles nous ont coûté énormément, les 15 milliards d’euros déjà mentionnés.

Quand on regarde l’effet total en cumulé on voit qu’une seule année d’inflation soutenue en 2022 a quasiment annulé tous les gains des 24 années précédentes.

Avec l’inflation de 2023, le bilan global passera dans le rouge : on n’a pas encore le chiffre exact, mais le coût global se situera probablement autour de 10 milliards d’euros. Et ce n’est que le début. Chaque année suivante où l’inflation sera supérieure à 1,4 %, la dette indexée va nous coûter de plus en plus d’argent.

Voilà le bilan de ce choix de faire de la « dette indexée sur l’inflation » : on a économisé un peu d’argent pendant 20 ans et il suffit de 2 ans d’inflation pour tout ruiner. Il est donc raisonnable de qualifier d’échec ou d’erreur de gestion monumentale cette politique de la dette indexée sur l’inflation.

Surtout que, pour ne rien arranger, la France a émis le gros de ces dettes indexées entre 2015 et 2020, à un moment où les taux d’intérêts sur la dette française « classique » étaient les plus bas et où l’État empruntait à 1%, 0,5 % et même parfois sous 0 % de taux d’intérêt. 

Les justifications du gouvernement

Bruno le Maire affirme, en substance, que les dettes de l’État indexées sont une bonne chose parce qu’elles protègent les banques et assurances qui proposent livret A et Assurance vie du risque de l’inflation et donc, in fine, les épargnants français.

Mais ces dettes indexées ne sont pas une affaire franco-française.

A notre connaissance, on ne peut pas savoir qui détient aujourd’hui les titres de dette indexée de l’État français mais on peut savoir qui a acheté cette dette indexée au moment où l’État l’a souscrite. Et quand on regarde les derniers titres émis, on voit que l’étranger achète une grande partie de cette dette indexée. C’est 40 % d’acheteurs étrangers pour les dettes indexées sur l’inflation française et ça monte jusqu’à 75 % pour les titres de dettes indexées sur l’inflation européenne. 

Les propos du ministre « on souscrit ces titres indexées pour protéger le petit épargnant français et son livret A » ne tiennent donc pas la route.

Considérons maintenant uniquement la part de dette indexée vraiment détenue par les banques et assurances françaises. Est-ce vraiment grâce à ces titres de dette qu’elles parviennent à maintenir les taux du livret A et des assurances vie ?

Pour le Livret A, la réponse est évidente et c’est un grand NON. Avant 1998, les banques payaient les taux d’intérêts du livret A sans avoir des dettes indexées dans leurs coffres. Elles pourraient donc y arriver sans souci aujourd’hui. Surtout qu’avec les taux d’intérêts qui montent, les banques françaises ont fait des profits records ces deux dernières années.

Si les dettes indexées n’existaient pas, les banques auraient pu payer la même rémunération du Livret A, elles auraient simplement fait un peu moins de profits. 

Pour l’Assurance vie, en revanche, c’est vrai que la dette indexée leur permet d’avoir de meilleurs rendements en période d’inflation. 

Mais est-ce que c’est bien ? Est-ce que c’est juste que la collectivité, les impôts, la TVA payés par nous tous – riches comme pauvres – aillent booster le rendement des assurances vie ?

Franchement, selon nous, pas du tout. Pourquoi les ouvriers et les employés, qui sont seulement un quart à avoir une assurance vie, devraient payer en impôts pour protéger l’épargne des autres ? 

Et les quelques pauvres qui ont une assurance vie, vous imaginez bien qu’elle ne contient pas du tout la même somme que celle des plus riches… 

Lise