(Mise à jour le 20 août 2024 à 22:32)
Il y a 80 ans, le 21 février 1944, au Mont-Valérien près de Paris, à cinq reprises en milieu d’après-midi, un peloton d’exécution des forces d’occupation nazies faisait feu, mettant à mort 22 combattants de la Résistance condamnés lors d’un « procès » tenu devant le Tribunal militaire allemand du Grand Paris. Ce « procès » avait été accompagné de la publication d’une affiche, rouge, largement diffusée, sur lesquels les portraits de dix d’entre eux, tous étrangers et dont pour sept la nationalité était précédée de la mention « Juif », étaient censés illustrer la menace « judéo-bolchevique » contre la «vraie France».
Mais, la manœuvre échoua. Et l’Histoire a gardé des vingt-deux martyrs du 21 février 1944, et de la seule femme du groupe, transférée en Allemagne et décapitée le 10 mai suivant à Stuttgart, l’image de vingt-trois héros, dont la mémoire est depuis 80 ans fidèlement honorée chaque année.
Le 21 février prochain marquera la commémoration du 80ème anniversaire de cette au Mont Valérien.
La décision du Président de la République de faire entrer au Panthéon Missak et Mélinée Manouchian, en ce jour anniversaire du 21 février 24, met fin à un long oubli et marque enfin la reconnaissance de la contribution des résistants étrangers à la libération de la France, dans un contexte de montée des idées d’extrême-droite, sur la base de mensonges et de la perte de tous repères historiques.
En célébrant Missak et Mélinée nous rendrons aussi hommage aux 22 camarades du groupe FTP-MOI dirigé par Manouchian. Faire vivre notre Histoire, celle des nôtres, est une arme pour lutter contre la propagande de dirigeants qui écrivent et réécrivent les évènements à leur convenance. Ce 21 février, à l’opposé de la vision étriquée des nationalistes, nous rappellerons le rôle et la place de la MOI (Main d’Œuvre Immigrée). Une organisation créée en 1924 par la CGTU afin de regrouper les travailleurs immigrés (avant d’être reprise par le PCF) et favoriser leur intégration en France.
Ils étaient d’origines et de confessions diverses : Arméniens, Espagnols, Italiens, Polonais, Juifs d’Europe de l’Est… Ils avaient vécu des histoires différentes mais ils étaient unis contre le nazisme, le fascisme. Ils avaient cette conscience de classe qui en faisait des humanistes, des internationalistes.
Alors que l’extrême-droite cherche, en diffusant ses idées nauséabondes, à diviser le monde du travail les militants de la FTP-MOI sont tombés en héros, en martyrs, en défendant des valeurs de fraternité, d’entraide. Comme le disait Aragon dans son poème L’Affiche rouge « Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant » avec leurs noms « difficiles à prononcer ». Nous nous devons de rendre hommage à ces résistants venus d’horizons, de cultures et de religions différents. Certains étaient adhérents à la CGT, militants communistes, tous humanistes et antifascistes et ils partageaient des valeurs de paix, de liberté, d’égalité, de solidarité et de fraternité.
Les Francs-Tireurs et Partisans – main d’œuvre immigrée (FTP-MOI)
En 1924, la CGTU met en place une section Main-d’œuvre Immigrée (MOI) dont Missak Manouchian et notre ancien Secrétaire Général Confédéral Henri Krasucki seront adhérents. Un service d’entraide, des structures associatives, sportives et culturelles, sont créés et donnent naissance à de fortes solidarités. En 1936-1939 la MOI joue un rôle actif contre la montée du fascisme, notamment pour développer la solidarité avec l’Espagne républicaine. À partir de novembre 1940 et la dissolution de la CGT, ces groupes devinrent des pépinières de résistants. En mars 1942, naissent les Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF), bras armé du Front national de lutte pour l’indépendance de la France. En juin 1942, les unités combattantes issues de la MOI prennent le nom de Francs-Tireurs et Partisans Main d’Œuvre Immigrée, soit FTP-MOI.
Ces combattants sont organisés par « groupes de langue » : italien, polonais, arménien, espagnol, etc. L’importance numérique des émigrés juifs provenant de plusieurs pays : Pologne, Roumanie, Hongrie… mais parlant une langue commune, le Yiddish, les rassemble en nombre dans ce groupe de langue. Ayant fui le fascisme, les dictatures d’Europe centrale et balkanique, l’antisémitisme, nombre de ces immigrés en France se porteront à partir de 1936, aux côtés d’antifascistes français, volontaires dans les Brigades Internationales pour combattre en Espagne le fascisme franquiste appuyé par Hitler et Mussolini.
La République espagnole fut vaincue militairement en 1939, et nombre de ces brigadistes étrangers furent à leur retour en France internés dans des camps (Gurs, Argelès, Saint-Cyprien, Le Vernet, etc.). Mais, l’expérience militaire acquise en Espagne par les brigadistes français et étrangers se révélera précieuse quand la France, vaincue en 1940, sera occupée par les nazis.
La MOI diffuse tracts et journaux. Il existe plusieurs groupes dans différentes régions de France : Grenoble, Lyon-Villeurbanne, Marseille, Toulouse. En août 1943, ils sont pratiquement seuls à mener la lutte armée à Paris, après de nombreuses arrestations dans les rangs de la Résistance. Le coup d’éclat a lieu le 28 septembre 1943 lorsqu’est abattu le général S.S Julius Ritter, responsable du STO (Service du Travail Obligatoire) en France. Le groupe est démantelé en novembre 1943 et Missak Manouchian est arrêté par les Brigades spéciales de la Police Française. A l’issue d’une parodie de procès, Manouchian et 22 camarades sont fusillés au Mont Valérien.
Missak et Mélinée Manouchian
Missak Manouchian a 9 ans lors du génocide arménien de 1915 dans l’Empire Ottoman. Son père est tué et sa mère meurt de maladie. Avec son frère, il vit en orphelinat au Liban où il est formé au métier de menuisier. Il débarque à Marseille en 1925.
Il arrive rapidement à Paris et se fait embaucher comme tourneur chez Citroën. Au début des années 1930, il perd son emploi. Il gagne alors sa vie grâce à des travaux irréguliers. Il fréquente les universités ouvrières de la CGTU. Il cofondera la revue Tchank (effort) avec Kégham Atmadjian. La menace fasciste, avec la crise du 6 février 1934, le fait s’engager au Parti Communiste Français et à la section française du comité de secours pour l’Arménie où il rencontre son épouse Mélinée ; comme lui, apatride, orpheline, victime de la barbarie du premier génocide du 20ème siècle.
En juillet 1935, Missak devient cadre de l’Internationale communiste en accédant à la direction du journal Zangou, publié par la Section française du Comité de secours pour l’Arménie, puis de l’Union populaire franco-arménienne, relais de l’organisation Main-d’œuvre immigrée (MOI) auprès des ouvriers arméniens. Missak et Mélinée n’hésiteront pas à se mobiliser ensemble pour la défense de la République espagnole et participeront à la récolte de fonds.
Le 2 septembre 1939, Missak Manouchian est arrêté alors que l’interdiction du Parti communiste et des organisations proches intervient seulement le 26 septembre, un mois après le pacte germano-soviétique. Manouchian sort de prison en octobre. Il est affecté comme engagé volontaire dans une unité stationnée dans le Morbihan.
Après la débâcle et l’invasion allemande, Missak et Mélinée décident de s’engager dans la Résistance. Mélinée rédigera des tracts et portera des messages secrets. Puis ils passeront à la lutte armée et aux attentats. En 1943, Missak Manouchian prend la tête de la structure parisienne des FTP MOI, composée d’une soixantaine de jeunes résistants.
Après l’arrestation du groupe en novembre 1943, les nazis vont monter une opération de propagande avec la célèbre Affiche rouge qui met en scène 10 « terroristes étrangers » (dont 7 « juifs ») présentés comme une « armée du crime ». Le tribunal militaire allemand du Grand Paris juge 24 des résistants arrêtés. Le procès est mené de façon expéditive le 19 février 1944 en présence de la presse collaborationniste. En réponse à leurs cris de haine, Manouchian se tourne vers eux et leur déclare : « Quant à vous, vous êtes Français. Nous, nous avons combattu pour la France, pour la libération de ce pays. Vous, vous avez vendu votre conscience et votre âme à l’ennemi. Vous avez hérité de la nationalité française. Nous, nous l’avons méritée ».
En entrant au Panthéon leur combat humaniste et antifasciste résonne aujourd’hui alors que l’extrême droite se rapproche du pouvoir.
Le 21 février, la CGT rendra hommage à ces hommes et à ces femmes, nos camarades. Pour que la France soit un pays de Liberté, de Paix et de Progrès Social. Une France terre d’accueil, dans laquelle nous aurions toutes et tous les mêmes droits.
Soyons nombreux mobilisés,
le 21 février 2024 à 16h – 11 rue plaisance, 14ème arrondissement,
autour des valeurs de paix, de liberté, d’égalité, de solidarité et de fraternité.
Téléchargez le tract de la CGT.
Téléchargez l’Hommage aux FTP-M.O.l. du Groupe Manouchian-Boczov édité par l’Association nationale des anciens combattants et ami(e)s de la Résistance.