(Mise à jour le 21 août 2024 à 11:38)
Un article de Jean-Christophe Le Duigou, membre du Bureau confédéral de la CGT de 1999 à 2009, en charge du dossier retraites.
Alors que la mobilisation contre la réforme des retraites ne cesse de grandir, les tenants de la capitalisation se font discrets. Ils sont pourtant toujours présents et intéressés, les lobbies de l’assurance en tête. Le journal des milieux d’affaires, l’Opinion appelait récemment « à lever le blocage idéologique empêchant tout débat sur l’extension de la capitalisation ». A leurs yeux l’affaiblissement du système de retraite par répartition, ouvrirait un peu plus d’espace pour la diffusion de leurs produits financiers à commencer par le Plan d’épargne retraite (PER), nouveau visage de la capitalisation. Leur raisonnement est simple : plus grande sera l’inquiétude des générations les plus jeunes sur l’avenir des retraites par répartition, plus vite s’imposera le développement d’un étage de retraite par capitalisation. Mouvement que confirme le Ministère des Affaires Sociales lui-même en publiant les derniers chiffres des cotisations collectées au titre des contrats de retraite supplémentaire : 19,9 milliards d’euros ! un chiffre en hausse de 27 % par rapport à 2020. Bien que limité au regard des dépenses au titre de la retraite1, ce chiffre représente déjà une fois et demie le besoin de financement global des régimes.
Les tenants de la capitalisation veulent à tout prix assimiler leurs produits « épargne » à des « retraites ». Pourtant l’épargne et la retraite relèvent de constructions profondément dissemblables2. La différence est tout, sauf une querelle de mots. La retraite organise une mutualisation des espérances de vie. Par définition, elle garantit aux pensionnés un revenu indépendant du montant effectif de leurs cotisations, leur durée effective de vie n’étant pas connue a priori, ni davantage la durée pendant laquelle ils percevront leur pension.
Les produits dits « épargne-retraite » sont des comptes individuels et ces comptes sont à cotisations définies. Si le salarié sait ce qu’il paie, il n’a par contre aucune garantie sur le montant qu’il touchera. Aucune garantie n’existe quant à la préservation de la valeur de son capital en valeur absolue et encore moins face à l’inflation. La pension que touchera le salarié-retraité dépendra d’une part de ses choix d’épargne ou de ceux de sa banque, et d’autre part des rendements, par définition aléatoires, des marchés financiers, quelle que soit par ailleurs la sophistication des produits financiers proposés.
L’attractivité de l’épargne retraite tient à la dégradation programmée – et actuelle ! – du pouvoir d’achat des retraités. Ainsi peut naitre l’espoir chez les salariés qui en ont les moyens de compenser par l’épargne, la dégradation du taux de remplacement, c’est-à-dire du montant de la retraite par rapport au dernier salaire. Un taux qui devrait baisser entre les générations 1955 et 2000 de 9 à 14 points selon le scénario économique.
Il y a loin de la coupe aux lèvres. Le rapport Marini en 2006 déjà estimait que pour compenser la baisse des retraites « un triplement des prestations (et donc des cotisations) d’épargne-retraite doit au moins être envisagé d’ici 2050 »3. Un triplement du prélèvement qui ne pourrait être réalisé que par amputation du salaire net impliquant alors une très forte ponction sur le pouvoir d’achat des actifs. En outre, ce montant d’épargne étant seulement celui qui permet de garantir le pouvoir d’achat de la retraite au moment de sa liquidation, qu’adviendra-t-il du pouvoir d’achat tout au long de la retraite ? Il faudrait bien sûr en garantir l’indexation sur les prix et il faudrait aussi garantir une augmentation égale à celle du salaire moyen pour maintenir la parité du pouvoir d’achat à l’égard des revenus d’activité.
Sur la base des tendances économiques et démographiques actuelles, ces fonds d’épargne retraite devraient afficher un rendement à deux chiffres afin de garantir un niveau acceptable des prestations aux pensionnés. Ces prélèvements démesurés de la finance sur l’économie réelle se feraient au détriment de l’emploi et fragiliseraient de ce fait encore plus les ressources des régimes par répartition. La conclusion est simple : en se battant contre le recul du droit à la retraite et pour un bon niveau des pensions, les salariés dressent un barrage contre la diffusion de la capitalisation.
J-Ch Le Duigou