(Mise à jour le 21 août 2024 à 11:21)
Comme depuis le début de l’envolée des prix mi-2021, le gouvernement continue de promettre le reflux prochain de l’inflation, annonçant actuellement un redoux à partir du second semestre. D’abord, les précédents redoux annoncés n’ont pas eu lieu. Ensuite, l’inflation ne marque toujours pas le pas, et frappe de plus en plus fort les ménages, notamment les plus modestes.
Si elles ont évolué depuis le début de l’envolée des prix, les causes actuelles de l’inflation sont à chercher du côté de la spéculation, des comportements opportunistes de certaines entreprises, et des prix de l’énergie. Pour étayer son discours, le gouvernement s’appuie sur l’indice des prix à la consommation (IPC) qui non seulement ne capture que partiellement l’inflation, mais de surcroit, ne rend pas compte de l’évolution du coût de la vie.
Derrière cette communication gouvernementale se cache l’objectif d’éloigner toujours plus les augmentations durables de salaires. En effet, seules des augmentations pérennes permettraient réellement de lutter contre l’inflation et de redonner quelques marges de manœuvre aux ménages.
1. Attention, une baisse de l’inflation n’est pas une baisse de prix
D’après les dernières données de l’Insee, l’inflation était de 5,7 % entre mars 2022 et mars 2023, après 6,3 % entre février 2022 et février 2023. Pour autant les prix augmentent de 0,9 % entre février et mars 2023. Il s’agit donc bien d’un ralentissement de l’inflation, et non pas d’une baisse de prix comme le gouvernement pourrait chercher à le faire croire ! Et quand bien même l’inflation ralentirait, la question est toujours de savoir si l’augmentation des salaires compense celle des prix, ou si la perte de pouvoir d’achat continue.
Ce ralentissement relatif s’explique en partie par une baisse importante du prix des carburants (heureusement, après avoir atteint des sommets) qui compense la hausse des autres biens énergétiques et notamment de l’électricité. Du côté de l’alimentation en revanche, la tendance n’est clairement pas au ralentissement, avec des prix en augmentation de 15,9 % sur douze mois. Cette tendance devrait se poursuivre, puisque les négociations annuelles entre producteurs et distributeurs dans la grande distribution se sont achevées avec une hausse prévue de 10 % des tarifs.
2. Les ménages, plus menacés que jamais
Dans les dernières données détaillées disponibles, l’Insee indique par exemple que les prix de l’huile et du sucre sont en hausse de 51,1 % et 48,7 % en un an ! Ce sont ces hausses très importantes des matières premières, qui tirent l’ensemble des prix à la hausse.
Or, il ne faut pas oublier que ces hausses de prix se font en parallèles d’autres, qui pèsent en même temps : + 15 % pour les tarifs réglementés de l’électricité, + 15 % pour l’essence, + 4,5 % pour les péages, etc.
Comme on le développe dans un précédent mémo, la consommation populaire est la première touchée. En effet, les biens essentiels au premier rang desquels figurent l’énergie et alimentation, représentent une plus grosse part du budget des plus modestes, qui, par conséquent, sont encore plus touchés par ces hausses de prix. C’est pour cette raison que l’IPC pour les 20 % des ménages les plus modestes est encore plus élevé, à 6,8 %.
Pour le dire très clairement, plus l’inflation se poursuit, plus la perte de pouvoir d’achat est rude, et d’autant plus pour les ménages modestes.
3. La spéculation et les prix de l’énergie en cause
Les causes initiales de la poussée inflationniste sont liées à une forte reprise tous azimuts à la sortie du Covid, et évidemment aussi à la guerre en Ukraine (pour plus de détail, voir la note sur le sujet). En revanche, le fait que cela se prolonge dans le temps, et que l’inflation touche l’ensemble des secteurs s’explique par d’autres causes.
D’emblée, il faut écarter l’hypothèse d’une boucle « prix-salaires », précisément puisque les salaires n’augmentent pas. En revanche, tout démontre que l’inflation actuelle tire ses causes d’une « boucle-prix », nourrie de différents types de comportement des entreprises, qui tous, coucourent à maintenir leurs marges, voire à les accroitre abusivement.
Une étude récemment montre par exemple que près de 40 % de l’inflation des matières premières agricoles s’explique par la spéculation financière. Il s’agit par exemple des très gros négociants agricoles mondiaux, directement en position d’influer sur le prix, comme Cargill ou le groupe Louis Dreyfus, qui enregistrent des profits records.
Mais il faut aussi regarder du côté d’acteurs plus indirects comme les transporteurs type CMA-CGM, qui enregistre en 2022 les plus gros bénéfices de l’histoire française (23,4 milliards d’euros), devant TotalEnergies elle-même ! Ces bénéfices ne sortent pas de nulle part : ils sont la preuve d’un comportement opportuniste, reposant sur la hausse très importante du prix d’un container, dans des proportions bien supérieures à la hausse des coûts de l’énergie. C’est précisément pour cela qu’ils doivent être taxés, en tant que profiteurs de crise.
En parallèle de ces comportements, l’inflation se nourrit de la hausse du prix de l’électricité, qui elle-même trouve ses sources dans des difficultés de production (réacteurs à l’arrêt chez EDF), et une forte exposition à la volatilité des prix sur le marché européen de l’énergie. Or, tous les prix augmentent, et pas uniquement les prix dans les secteurs fortement dépendant de l’énergie. Cela signifie qu’une très large majorité d’entreprises ont augmenté leur prix, y compris de manière préventive. C’est ce qui explique que l’on soit passé d’une inflation relativement localisée, à une inflation généralisée. Et qui dit inflation généralisée, dit chance limitée d’un ralentissement.
4. Une réalité plus large, masquée par l’IPC
D’abord, l’inflation réelle est encore plus importante que telle que mesurée par l’IPC, puisque par construction, celui-ci laisse certains éléments de côté. Il ne prend par exemple pas en compte l’évolution du prix du tabac et du logement.
Ensuite, pour réellement prendre la mesure du choc subit par les ménages, il faut les distinguer par niveau de revenus. En effet, ce que capte l’IPC, c’est en quelque sorte une évolution moyenne, qui moyennise les habitudes de consommation. Or, elles diffèrent asses sensiblement selon le niveau de revenu.
Enfin, et l’Insee le dit lui-même, l’IPC n’est pas un indicateur du coût de la vie. Cela est particulièrement problématique, dans la mesure où l’indexation des prestations sociales, et du Smic également, repose précisément sur l’IPC.
Il est donc primordial de considérer d’autres indicateurs (la CGT propose par exemple un IPC corrigé plus proche de la réalité) mais également de regarder concrètement ce qui se passe du point de vue des habitudes de consommation.
Sur l’énergie et l’alimentation, on observe une nette baisse des volumes : les Français∙es ont réduit leur consommation d’énergie, et réduit les volumes alimentaires achetés. Sur le premier point, et en période hivernale, cela signifie notamment moins se chauffer, ce qui n’est pas sans conséquence sur la santé quand la précarité énergétique est très marquée. Sur le second, il faut noter que les baisses de volumes se sont accompagnées de report vers moins de produits frais, moins de légumes, et plus de produits transformés. La hausse significative du recours à l’aide alimentaire est un autre témoin des difficultés croissantes à s’alimenter.
5. Points de vigilance sur la rhétorique gouvernementale
Que cherche alors à faire le gouvernement, en continuant à marteler le ralentissement prochain de l’inflation, qui reste, comme on l’a vu, plus qu’incertain ? Le premier enjeu est d’écarter autant que possible les revendications d’augmentations des salaires et d’indexation de ceux-ci sur l’inflation, en donnant une fin la plus proche possible à ces augmentations de prix. Au contraire, nous rappelons avec force que l’augmentation du Smic et des salaires est de loin la meilleure arme pour maintenir et améliorer le pouvoir d’achat des ménages modestes et moyens. Le second enjeu est de limiter les revendications en matière de rémunération de l’épargne populaire, matérialisée notamment par le Livret A. En effet, les économistes proches de la majorité présidentielle occupent le débat, avec l’idée que cela « coûterait cher » aux banques.
A retenir :
➢ Les propositions et solutions gouvernementales telles que la mise en place de chèques alimentaires ou énergies sont totalement inappropriées.
➢ Il est grand temps d’indexer les salaires sur l’inflation, à travers l’échelle mobile des salaires, de taxer les profiteurs de crise qui en plus de bénéficier de l’inflation, y contribuent très fortement.
➢ Le ralentissement de l’inflation passe par la maitrise des coûts de l’énergie, qui repose elle-même sur une refonte complète des modes de production de celle-ci, et l’instauration d’un pôle public.
Montreuil, le 20 avril